La civilité et la politesse auraient-elles disparu?

Chaque jour des habitants excédés dénoncent les incivilités qui rendent la vie impossible: les cyclistes qui roulent à toute vitesse sur les trottoirs, les chewing-gums qui collent au talon des passants. Un habitant de Montargis se plaint des mégots qui, par milliers, polluent les rues de la ville et tout particulièrement la sortie du lycée, en dépit de cendriers mis à disposition des lycéens. La politesse semble, elle aussi, mise à mal. Combien d’enfants manifestent brutalement leur désir en évitant de dire « merci » quand ils ont obtenu l’objet demandé. Or la politesse est un moyen de sortir de soi, de traiter l’autre comme une personne et de rendre possible une relation apaisée, fondée sur l’échange et la réciprocité.
Civilité et politesse ont-elles toujours existé ? Ont-elles changé de forme à travers les âges ? Durant la Renaissance, les bonnes manières existent, mais elles ne sont pas exactement les nôtres. On conseille à ceux qui veulent les acquérir de ne pas plonger les doigts dans la sauce lors d’un repas. Le trident, ancêtre de la fourchette, est encore peu utilisé. Dans le premier tiers du XVIIe siècle, ce ne sont pas les mégots qui envahissent la rue, mais une boue grasse et tenace. Pire, un magistrat venu de la capitale constate avec effarement qu’à Aix-en-Provence, il faut« faire ses affaires sur les toits des maisons, ce qui empuantit fort le logis et même toute la ville lorsqu’il pleut, entraînant dans la rue toute cette ordure ». Dans de telles conditions de vie, la tâche de boue est la marque de la pire impolitesse, le cauchemar des élégants. Sous Louis XIV, les rues sont toujours aussi malpropres, mais la politesse fait par ailleurs des progrès incontestables. Le roi soleil y contribue fortement. Sous son influence, la galanterie triomphe, car le souverain tient toujours à céder le passage à la plus humble de ses servantes. Les courtisans suivent son exemple. Faut-il déplorer la disparition de la galanterie, ou au contraire s’en réjouir au nom de l’égalité conquise ou à conquérir entre les hommes et les femmes ?
 Bonnes manières et bon goût.
La politesse et la civilité renvoient aussi au phénomène du « bon goût » et de la « distinction ». Pourquoi certaines expressions, comme « Au revoir, messieurs dames » ou « « Au plaisir », lancées aujourd’hui dans un magasin, dans un restaurant ou sur le pas de la porte après une fête entre amis, peuvent -elles être perçues comme des marques de « vulgarité », alors que le parleur s’efforce, en toute sincérité, d’être poli et attentif aux autres ? Ces prescriptions remontent loin dans le temps. Depuis le Moyen Age, on conseille aux dames de la grande aristocratie d’user de paroles soigneusement choisies, d’avoir une intonation douce et des gestes discrets. Il ne faut parler trop fort, il ne faut jamais effleurer son voisin de table et encore moins accompagner un propos un peu vif d’une claque sur son épaule ou d’un coup de coude pour attirer son attention. Au XIXe siècle, au sein de la grande bourgeoisie parisienne, les bonnes manières deviennent de plus en plus strictes, notamment pour le repas. Comment placer les convives autour d’une table ? Pourquoi ce changement ? Les réceptions ressemblent toujours un peu à une pièce de théâtre, précédée de l’inévitable « Madame est servie ». Les « bonnes manières » ont aussi pour fonction de provoquer doute et anxiété chez ceux qui ont le sentiment de mal les maîtriser : ai-je bien placé mon couteau sur la table ? Dois-je plier ma serviette ou la laisser en tapon, une fois le repas terminé ? Ai-je mis la tenue conforme aux circonstances ? On peut se demander si ces conduites et ces préoccupations existent encore dans notre société qui supprime tabous, conventions et hiérarchies.

SOURCE : HUFFINGTON POST