
Bigorexie : quand le bien-être vire à l’obsession destructrice
Peut-on aimer le sport au point de ne plus savoir s’arrêter ? Oui, et c’est là que ça devient problématique.
Mais à partir de quand une habitude saine devient-elle une dépendance ?
La bigorexie, encore peu connue du grand public, soulève ces questions. Derrière les silhouettes sculptées et les routines millimétrées se cache parfois un vrai trouble du comportement, loin d’être marginal.
Qu’est-ce que la bigorexie ?
La bigorexie correspond à une forme de dépendance pour laquelle la pratique sportive prend une place excessive dans la vie quotidienne. Ce phénomène, de plus en plus évoqué dans le monde médical et dans les médias, se caractérise par un besoin irrépressible de faire du sport, souvent au détriment de la santé physique ou psychologique.
On parle parfois de « dysmorphie musculaire » ou d’« anorexie inversée », car il ne s’agit plus simplement de rester en forme, mais de poursuivre sans relâche un idéal corporel, quitte à dépasser ses limites et à négliger d’autres aspects de la vie.
Bien qu’encore absent de certaines classifications médicales, le trouble a été reconnu dès 2011 par l’OMS comme une réalité clinique à surveiller.
Une dépendance à part entière
Contrairement aux addictions aux substances (alcool, médicaments), la bigorexie n’implique aucun produit externe. Pourtant, ses mécanismes sont semblables :
- besoin de pratiquer toujours plus,
- incapacité à s’arrêter malgré les douleurs, blessures chroniques, fatigue extrême ou isolement social,
- mal-être profond en cas d’interruption.
Elle rejoint ainsi d’autres dépendances comportementales comme le jeu compulsif ou certains autres troubles alimentaires.
Une tendance en hausse constante
Le phénomène progresse, soutenu par plusieurs facteurs. L’INSERM et l’OMS alertent dès 2025 sur une augmentation marquée de ces comportements, en particulier chez les jeunes adultes exposés aux standards corporels des réseaux sociaux.
En France, les chiffres illustrent clairement ce développement. En 2020, 4,5 millions de personnes étaient inscrites dans environ 4 540 salles de sport. Après une forte reprise post-Covid, ce nombre approchait 7 millions en 2023, avec près de 5 600 salles. Cette dynamique a continué en 2024 et 2025, touchant désormais un public très diversifié (source : Toute la Franchise).
Les applis bien-être et de sport se sont aussi démultipliées. Weward, Strava, etc., etc., quand on voit que certains en arrivent même à tricher sur Strava… Lire mon article ici…
Pourquoi une telle progression de bigorexiques ?
Bon, nous le savons tous… mais rappeler l’origine de cette addiction (comme de nombreuses autres) ne sera pas du luxe. Les causes sont multiples et étroitement liées à notre époque :
- Réseaux sociaux : Instagram, TikTok et YouTube valorisent des corps parfaits, provoquant chez les jeunes une pression constante et malsaine. Stop les influenceurs… à lire ici.
- Culte de la performance : La transformation rapide et extrême est glorifiée sans alerter sur ses dangers potentiels.
- Besoin de contrôle : Dans un contexte mondial anxiogène (économie, climat, injonctions sociales), contrôler son corps devient un refuge rassurant, mais qui peut devenir une prison.
Ce n’est pas une mode passagère, mais une tendance durable, favorisée par l’ère numérique et l’exigence d’une perfection constante.
On retrouve les mêmes causes pour les orthorexiques, sujet que j’ai développé ICI.
Quels sont les principaux critères qui caractérisent la bigorexie ?
Les experts définissent plusieurs indicateurs clairs :
- Organisation quotidienne centrée exclusivement sur l’exercice physique.
- Sentiment intense de culpabilité à chaque pause forcée ou blessure.
- Insatisfaction permanente malgré une apparence objectivement musclée.
- Recours fréquent aux compléments alimentaires ou produits dopants.
- Isolement social croissant et perte d’intérêt pour d’autres activités.
L’alimentation : un autre signe révélateur
L’alimentation devient souvent une extension de cette obsession.
Les régimes alimentaires très restrictifs (riches en protéines, faibles en glucides et graisses) ne tolèrent aucune entorse, transformant les repas en source d’angoisse. Cette obsession alimentaire peut dériver vers l’orthorexie, trouble où la qualité nutritionnelle supplante tout plaisir ou équilibre global.
Alors, aimer le sport ou y être accro ?
Une frontière difficile à cerner
Comme pour toute addiction, la limite entre passion et dépendance est subtile. Beaucoup de sportifs intensifs ne se sentent pas concernés, convaincus de maîtriser parfaitement leur routine. Pourtant, cette frontière entre discipline volontaire et perte de liberté intérieure peut disparaître insidieusement. Ce flou rend le trouble difficile à identifier, voire à admettre.
La différence majeure réside dans l’impact psychologique et social.
Une pratique régulière du sport est bénéfique, mais elle devient pathologique quand elle génère frustration, irritabilité ou sentiment de perte de contrôle dès qu’une séance est annulée.
Ici, on ne parle plus de plaisir, mais bien de dépendance.
Témoignages et prise de conscience
En France, des personnalités médiatiques ont commencé à briser le silence.
Laurent Jalabert (L’ex-cycliste professionnel français ), Frank Lebœuf (ancien footballeur international français et champion du monde 1998), Bixente Lizarazu (ex-footballeur) et Anne Richard (actrice) ont publiquement évoqué leurs excès physiques et la pression mentale liée à cette quête constante de perfection corporelle.
Leurs témoignages contribuent à sortir la bigorexie de l’ombre et à sensibiliser le public sur ce sujet sérieux.
Le défi de la reconnaissance médicale
Malgré une attention croissante, la bigorexie reste encore absente de classifications majeures comme le DSM-5. Toutefois, plusieurs spécialistes plaident aujourd’hui pour sa reconnaissance officielle, afin de mieux former les professionnels de santé, alerter le grand public et mieux encadrer les pratiques sportives à risque.
Pour aller plus loin
- INSERM – Addictions sans substance
- Addict’AIDE – Bigorexie : comprendre et agir
- OMS – Comportements addictifs
