
Assureurs, mutuelles : la vérité sur le marché noir des applis bien-être
Oui, vous savez déjà que les applis récoltent vos données personnelles.
Vous vous doutez qu’elles sont utilisées.
Vous avez fini par l’accepter, à force.
Mais, avec les applis bien-être, ce que vous ne savez peut-être pas, c’est qui s’y intéresse de plus en plus.
Et ce qu’ils en font.
Assureurs, mutuelles, courtiers spécialisés : tous scrutent désormais ces données issues d’applis « bien-être ». Pas pour vous proposer un meilleur service. Mais, pour connaître vos risques, fixer vos tarifs, voire refuser votre dossier.
Un rythme cardiaque jugé irrégulier. Un questionnaire stress rempli.
Un mode de vie trop sédentaire.
Et, c’est toute votre couverture santé qui peut changer. Sans que vous en soyez informé !
Ce que vous partagez sans trop vous en soucier
Avant même de parler des assureurs, regardons de plus près ce que vous laissez comme traces.
En installant une application de bien-être ou de santé, vous acceptez forcément sans les lire ses conditions d’utilisation.
En pratique, vous partagez des infos, telles que :
votre fréquence cardiaque (via une montre connectée),
vos heures de sommeil ou d’insomnie,
votre cycle menstruel (dans les applis comme Flo),
vos réponses à des quiz santé (niveau de stress, douleurs, anxiété),
votre nombre de pas quotidiens,
votre alimentation et vos calories (MyFitnessPal, Lifesum),
votre historique de navigation (quand l’appli est liée à d’autres services).
- etc., etc.
Certaines de ces applis, comme Flo, ont déjà été épinglées pour avoir transmis des données sensibles à Facebook et Google sans consentement explicite. En 2021, la FTC américaine a imposé à Flo Health des restrictions précises sur l’usage de ces données (source).
D’autres applis comme Sweatcoin précisent dans leur politique de confidentialité qu’elles peuvent partager vos données avec des « partenaires commerciaux de confiance », si vous avez donné votre accord (source). Mais cet accord est souvent masqué dans les paramètres, ou intégré aux conditions générales que personne ne lit.
L’exploitation des données des applis bien-être par les assureurs
Les données que vous laissez dans les applis bien-être — parfois sans même vous en rendre compte — ne restent pas là.
Elles circulent, s’échangent, s’analysent.
Et certains acteurs, comme les assureurs, s’en servent activement.
Ils les intègrent dans leurs modèles de tarification. Bon, ça passe encore !
Mais, derrière cette mécanique, le fonctionnement est encore plus opaque.
Officiellement, les assureurs n’ont pas accès à votre dossier médical.
Mais, ils contournent le problème en achetant des données dites comportementales :
rythme cardiaque, sommeil, nombre de pas, réponses à des quiz santé, stress, cycles menstruels, etc.
Même anonymisées, ces données peuvent être croisées avec d’autres sources pour calculer votre score de risque.
Des courtiers spécialisés établissent alors des profils détaillés, en classant les individus selon leur comportement perçu : mode de vie sain ou non, risques de maladies chroniques…
Le résultat influence directement les offres : contrats plus chers, options réduites, ou refus silencieux.
Cette logique, souvent invisible pour l’utilisateur, pose de vraies questions éthiques : sur la transparence, l’équité, voire la discrimination.
Et quid de ce que tout ce système va engendrer dans quelques années avec l’IA qui va s’en mêler ?
Des exemples concrets existent déjà.
En Allemagne, le programme « Vitality » de Generali propose des réductions aux assurés qui prouvent un mode de vie sain (via applis et montres connectées). En France, il existe aussi sous forme limitée (source). Ensuite….
L’application Sweatcoin transforme vos pas en bons d’achat. Mais les données d’activité qu’elle collecte sont revendables. Certaines mutuelles s’y intéressent pour identifier les profils les plus actifs (source).
Fitbit, racheté par Google, capte des millions de données sur la santé de ses utilisateurs. Aux États-Unis, ces informations ont déjà été utilisées dans le cadre de contrats dynamiques (source).
Les compagnies d’assurance sont déjà à l’œuvre, mais pas que…
Mais les mutuelles s’y mettent aussi. Officiellement, c’est pour promouvoir la prévention, offrir des réductions aux assurés les plus actifs ou soutenir les innovations santé.
En réalité, plusieurs mutuelles investissent dans des solutions de suivi numérique. Et derrière les promesses d’accompagnement, se profilent les mêmes logiques d’évaluation des comportements individuels, avec le risque de basculer, demain, vers des critères d’exclusion ou des tarifs différenciés.
Gratuites ou payantes : le problème ne vient pas du prix, mais des conditions d’utilisation
Applis bien-être ou santé gratuites
Les risques sont plus visibles parce que :
Le modèle économique repose souvent sur la revente de données.
Les utilisateurs s’attendent à ce que ce soit gratuit et négligent les mentions légales.
Beaucoup de services gratuits utilisent des régies publicitaires, ce qui implique un partage massif d’informations comportementales.
Exemples : Sweatcoin, Flo, certaines versions de MyFitnessPal.
Applis bien-être payantes
Le risque existe aussi, mais il est moins évident :
Certaines applis payantes revendent tout de même des données, ou les utilisent pour de la recherche commerciale.
D’autres font payer un abonnement tout en traquant l’utilisateur pour affiner leur stratégie marketing ou partager avec des partenaires.
Le paiement ne garantit pas la confidentialité, sauf si l’éditeur s’engage explicitement à ne rien collecter.
Les cyberattaques : une autre menace pour vos données
Même sans revente, une autre menace existe : le piratage.
Au-delà de la revente légale de données, les cyberattaques représentent une menace croissante pour la confidentialité des informations de santé.
En 2024, la CNIL a enregistré 5 629 violations de données personnelles, soit 20 % de plus que l’année précédente. Parmi elles, une quarantaine d’attaques ont touché plus d’un million de personnes (source).
En novembre 2024, un pirate a mis en vente les données médicales de plus de 750 000 personnes, issues d’un hôpital français (source). Ces données comprenaient identités, diagnostics, traitements.
On pourrait croire que tout cela est illégal. En réalité, le cadre juridique reste flou.
Le vide juridique qui rend tout cela possible
Des lois, ce n’est pas ce qui manque ! Et pourtant…
Le RGPD protège officiellement les données de santé. Mais beaucoup d’applis bien-être (et les autres) jouent sur les mots. Elles se présentent comme des outils de « bien-être » et non comme des dispositifs médicaux. Résultat : elles échappent à une partie des obligations légales.
La CNIL rappelle que même les données dites « non médicales » (sommeil, rythme, alimentation) peuvent, une fois croisées, révéler des éléments sensibles sur votre état de santé (source).
Ce que vous pouvez faire, concrètement, sur vos applis bien-être (et les autres)
Pas grand-chose… mais un minimum
Soyons honnêtes : une fois que vos données sont parties, vous ne les récupérerez pas.
Et la plupart des applis bien-être ne changent pas leurs pratiques du jour au lendemain.
Mais il reste quelques réflexes à adopter. Pas pour tout contrôler — ça, c’est illusoire — mais pour limiter les dégâts.
Ne connectez jamais vos applis bien-être via Facebook ou Google.
Évitez les applis bien-être américaines ou trop opaques.
Méfiez-vous de celles qui se disent « éthiques » ou « payantes » : ce n’est jamais une garantie.
Supprimez les applis bien-être que vous n’utilisez plus.
Ne reliez jamais votre compte santé à Facebook, Google ou d’autres applis.
Refusez les autorisations inutiles (géolocalisation, contacts, Bluetooth…).
Lisez les politiques de confidentialité, même rapidement.
Privilégiez les applis européennes ou open source.
Ne considérez jamais qu’une appli bien-être est « fiable » juste parce qu’elle est payante.
En résumé ?
Non, vous ne contrôlez plus grand-chose.
Oui, vos données circulent, même quand vous pensez les protéger.
Et non, ce n’est pas réservé aux cas extrêmes.
Ce système repose sur une forme d’aveuglement organisé : on vous parle bien-être, motivation, récompenses… pendant qu’en coulisses, on vous classe, on vous note, on vous trie.
Je n’ai, hélas, aucun conseil à vous donner. Juste le savoir, le diffuser… ce sera déjà un pas.
C’est aussi ce que j’ai essayé de faire dans ces articles :
👉 les manipulations des vendeurs de bien-être
👉 Les influenceurs stop ou encore
👉 Etc.
